Pontmain, 17 janvier 1871
Il est six heures du soir…la nuit est tombée, il fait très froid. Le petit village de Pontmain, dans le nord Mayenne, est recouvert de neige.
A la lueur d’une chandelle, Eugène et Joseph Barbedette, âgés de douze et dix ans, pilent les ajoncs dans la grange, avec leur père. L’inquiétude étreint tous les cœurs car la France est en guerre avec la Prusse et l’on est sans nouvelle des jeunes soldats du village, partis au front. On dit même que les Prussiens sont aux portes de Laval !
Eugène sort de la grange, « pour voir le temps » dira-t-il. Le ciel est pur, parsemé d’étoiles. Soudain, en plein ciel, il aperçoit une belle dame…elle lui sourit doucement. Joseph sort à son tour et s’exclame « Oh la belle dame ! » Les deux frères émerveillés décrivent l’apparition : « Une belle dame toute jeune, avec une robe très bleue, pleine d’étoiles, une couronne d’or avec un liseré rouge, un voile noir derrière les épaules, des chaussons bleus et or… », mais surtout « Qu’elle est belle ! Que son sourire est doux ! ». Leur père est troublé, mais il ne distingue rien dans le ciel. Leur mère, même chaussée de ses lunettes, ne voit pas non plus ! « Vous n’êtes que des petits menteurs ! » dit-elle… « Achevez votre travail, je vais finir de préparer la soupe ».
Le cœur gros, les enfants terminent leur tâche et vont souper…
De retour à la grange, la dame est toujours là…instinctivement, Eugène et Joseph tombent à genoux, pour prier cinq pater et cinq ave.
« Comme une mère, elle semblait plus heureuse de nous voir que nous ne l’étions de la contempler ! » dira le petit Joseph.
« Allons chercher les religieuses » dit la mère, « elles sont meilleures que vous, elles verront bien aussi ! ». Les Sœurs de l’Ecole arrivent accompagnées de deux petites pensionnaires : Françoise et Jeanne-Marie. Des voisins se pressent à la grange mais, seuls, les enfants voient la belle dame !
L’arrivée de l’abbé Guérin
En hâte, on va chercher Monsieur le Curé, l’abbé Guérin, qui a tant suscité la dévotion à la Vierge Marie depuis son arrivée à Pontmain. Il est très ému, mais ne voit que la nuit étoilée… C’est alors que la Dame s’entoure d’un grand ovale bleu et de quatre bobèches aux bougies éteintes, une petite croix rouge se forme sur son cœur.
Presque tout le bourg se trouve assemblé devant la grange. L’agitation est grande…on discute, on rit, on interroge les enfants. « Oh, elle tombe en tristesse ! » s’exclament-ils…
« Prions » dit Monsieur le Curé.
On commence le chapelet…
Le Message de la Vierge
Alors, l’apparition grandit, des étoiles viennent se piquer sur sa robe, d’autres s’amassent sous ses pieds, et elle sourit de nouveau. Les enfants décrivent, extasiés ! Sœur Marie-Edouard entonne le Magnificat et soudain, des lettres dorées se forment sous les pieds de la belle dame : « Mais priez mes enfants », les petits épèlent les lettres qui viennent une à la fois, et l’on prie les Litanies de la Vierge.
« Voilà encore quelque chose qui se fait ! » crient les enfants !
« Dieu vous exaucera en peu de temps. » lisent-ils.
Une incroyable espérance saisit l’assemblée, la guerre va cesser ?
On chante l’Inviolata, le Salve Regina, et cinq mots apparaissent, soulignés par un trait doré : »Mon Fils se laisse… », « mais non !» dit sœur Vitaline, « cela ne veut rien dire, il doit y avoir mon Fils se lasse ! » – Mais ma sœur, ce n’est pas encore fini, voici encore un T et un O ! » et les enfants lisent :« Mon Fils se laisse toucher ».
C’est donc la Bonne Vierge puisqu’elle dit « mon Fils » ! Les larmes aux yeux, on fait répéter cent fois aux enfants le doux message…
Le chant, si souvent repris, « Mère de l’espérance » met en joie la Vierge Marie, elle élève les bras, bouge en mesure ses doigts légers « Voilà qu’elle rit, voilà qu’elle rit ! Oh qu’elle est belle ! » crient les petits en battant des mains ! Sur leur visage brillent la joie et la beauté de Marie.
La Croix
Vers la fin du cantique, les lettres disparaissent, et c’est aux paroles du chant « Mon Doux Jésus » que le visage de Marie s’assombrit… Elle s’empare d’une grande croix rouge, où git son Fils crucifié, d’un rouge sombre… et ses paupières se baissent, ses lèvres remuent doucement… « Jamais nous n’avons vu un visage d’une telle tristesse » diront tous les enfants… une étoile est venue allumer les quatre bougies du ciel.
Lorsque monsieur le Curé fait chanter l’Ave Maris Stella, le grand crucifix rouge disparait, Marie lève les yeux, étend à nouveau les mains vers les enfants, et retrouve son sourire. Deux croix blanches se posent sur ses épaules, deux secrets de lumière.
« Mes amis, dit l’Abbé, faisons la prière du soir… »
Et lentement, vers la fin de la prière, un voile couleur du temps, monte devant la Vierge, effaçant petit à petit l’Apparition céleste, qui souriait joyeusement à nouveau.
« Voyez-vous encore ? » demande le Curé, « Non » disent les enfants, et puis : « C’est tout fini ! ».
Il était près de neuf heures du soir.
Les Prussiens n’entrèrent jamais dans Laval .
L’armistice fut signé le 28 janvier.
Les trente-huit soldats de Pontmain revinrent sains et saufs.
À l'angle opposé du carrefour central voici la grange Barbedette. Extérieurement, le bâtiment a gardé à peu près l'aspect qu'il avait autrefois : au nord, un toit couvert de chaume, un grand portail percé d'un portillon et donnant sur la partie centrale de la grange.
L'intérieur a été arrangé en chapelle une peinture et cinq statues de Pierre Machard rappellent le cadre et les phases de l'apparition. Comme témoins de la vie passée, on ne découvre guère que les instruments qui servaient à couper et piler les ajoncs, nourriture d'hiver pour les chevaux. A côté sur la droite pour qui vient d'entrer il faut imaginer le lit des enfants, adossé au mur et placé tout contre une cloison basse, en planches, derrière laquelle se trouvait le gros bétail. A gauche, derrière une cloison semblable, était parqué le petit bétail ainsi que la jument.
Pendant des heures, Eugène et Joseph pilaient des ajoncs; la nuit, ils dormaient sous le souffle des boeufs;chaque matin au réveil, ils priaient.
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